samedi 22 novembre 2008

l'expérience sans colle


"Dans les mosaïques réelles, les fragments sont maintenus par de la colle; on peut considérer que les substances, les egos transcendantaux ou les absolus des autres philosophies en tiennent lieu. Dans l'empirisme radical, pas de colle; c'est comme si les fragments se raccordaient par leurs bords, les transitions entre eux dont on fait l'expérience constituant leur ciment. Bien sûr, une telle métaphore est trompeuse, car dans l'expérience réelle les parties les plus substantives et les plus transitives se fondent sans solution de continuité; il n'y a pas de séparation dont il faudrait venir à bout moyen d'un ciment externe; et si on ne vient pas à bout d'une séparation dont on fait réellement l'expérience, elle demeure séparation et compte comme telle jusqu'au bout. Mais la métaphore sert à symboliser le fait que l'Expérience elle-même, prise globalement, peut croître par les bords."

William James, Essai d'empirisme radical, Un monde d'expérience pure


L'expérience radicale est une idée étrange, puisqu'elle nous met en même temps face à une mise en question de l'expérience que nous avons de la vie et établit une distance par rapport à elle que nous ne devrions pas avoir. La recherche de l'immédiateté dans le monde ou même un être- dedans sans rapport peut paraître surprenant, mais l'expérience radicale fait ici penser à l'idée du Moi chez Bergson "qui se fait sans cesse" comme l'univers. Le ciment externe dont parle James pourrait correspondre à ce moi persistant, ou permanent que l'on trouve chez Merleau-Ponty ou chez Husserl et que Bergson met en question. Il n'y a pas un deuxième moi qui "cimente" les expériences entre elles mais elles se fondent les unes dans les autres sans interruption. Il faudrait interroger cette expérience qui peut "croître par les bords" sans que le moi en fasse la synthèse, puisque nous avons la conviction que la synthèse se fait sans effort par le fait même que nous en faisons l'expérience.

mardi 18 novembre 2008

Whitehead et Minkowski


J'ai ajouté Whitehead, Procès et réalité, ainsi que Eugène Minkowski, Le temps vécu à la liste de livres. Ces deux textes sont en ce moment d'une grande aide et inspiration pour moi.
Whitehead me rappelle Ulysse de Joyce, et il paraît que c'est un très grand compliment si je dis ça. J'ai l'impression que la philosophie qui unifie, qui cherche à exprimer, à déployer, l'expérience totale de la vie que je vois dans Ulysse trouve chez Whitehead une expression plus théorique. Fortement inspiré par Hegel, Whitehead crée une sorte de dialectique immédiate où l'extérieur devient intérieur et inversement. C'est difficile à dire avec des mots, et puisque c'est une expérience radicale qui a lieu tout à la fois, si on en parle, on la décompose forcément en certains éléments. Minkowski éclaire l'élan vital de Bergson et établit un réel rapport au temps, il distingue le maintenant du présent par exemple, et dit que nous vivons le présent plus que le maintenant parce que le présent nous donne une sécurité tandis que le maintenant nous donne le vertige.

samedi 15 novembre 2008

Le Moi, l'habitude, la répétition


Dans mes réflexions, je suis tombée sur la nécessité de lire Kierkegaard. Parce qu'il parle de la répétition, ou de la "reprise". Car, en effet, la création du neuf à chaque instant ne peut pas valoir à elle seule pour la connaissance puisque nous avons besoin d'une certaine continuité pour pouvoir penser le changement, la création. Alors, pourquoi ne pas l'appeler "répétition", ou encore "habitude", cette constance qui permet de mettre le réel en mouvement?
La "reprise" reste selon moi un concept flou chez Kierkegaard. Je vais essayer de voir ce que l'on peut tirer de "l'habitude". Il faut donc que je jette un coup d'oeil à Ravaisson, un autre ami de Bergson d'ailleurs. Mais il me semble que la répétition peut être une idée intéressante dans la connaissance des choses qui doivent nous apparaître comme des images mentales à répétition pour établir une continuité et ainsi permettre de penser les possibles et le changement. La création du Moi que pense Bergson a besoin d'une habitude du réel pour se créer et pour devenir. Ici, Whitehead a introduit la pensée hégélienne dans sa théorie de la "concrescence". Le devenir-concret de l'expérience a besoin de la continuité et du changement, mais il est en même temps en manque de finalité, car on ne peut pas dire ce que le moi devient puisqu'il est dans un processus de devenir constant. Le moi lui-même n'est cependant pas constant mais trouve sa continuité dans le processus même.